Depuis le jour de Pentecôte, l’Eglise a pris conscience de sa vocation œcuménique, sa mission d’être une communauté rassemblée pour être le lieu et l’agent de communion entre les peuples divers. C’est du reste la réponse à la mission reçue du Seigneur : « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples… » (Mt 28, 19-20). Le livre des Actes des Apôtres parlent de « de toutes les nations qui sont sous le ciel ». Ce sont bien sûr les nations connues, à cette époque. Leur liste nous est donnée: « Partes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Egypte et de la Lybie cyrénaïque, ceux de Rome… Crétois et Arabes… » (Ac 2,5-11). Avec une rapidité qui tient du miracle, malgré les persécutions et les difficultés sans nombre, l’Eglise a pris un grand essor et elle rayonnait dans toutes les provinces de l’Empire romain, élargissant ainsi ses frontières au point qu’au deuxième siècle elle fut qualifié de « catholique », ce qui veut dire universelle, parce qu’elle était répandue partout. Une question que l’on se pose est de savoir comment cette famille était organisée. Certes, le Seigneur Jésus avait établi les 12 apôtres et donné à Pierre la mission de gouverner l’Eglise. Mais comment cela était-il compris et vécu dans le concret ?
L’Eglise était composée d’une foule de communautés diverses, chacune ayant à sa tête un pasteur élu par les presbytres et les fidèles. La communion de toutes ces communautés était garantie par la fidélité à la doctrine basée sur l’Ecriture. Mais à la longue cette unité n’allait pas résister aux germes de discordes inévitables dans toute communauté humaine. Une direction s’imposait donc collégiale ou monarchique. Et même dans ce cas, il faut savoir qui faisait le choix et comment on procédait. Tant que les apôtres vivaient encore, on avait une direction claire, et après ? Nous allons suivre rapidement ce développement.
1° Dès le début, la pouvoir de Pierre était reconnu et accepté. Mais il fallait s’organiser pour résoudre les conflits dans les communautés. Quand surgissait un problème, les chefs de communauté se réunissaient avec l’assemblée sans qu’intervienne quiconque n’appartenant pas à la communauté. Un peu plus tard, les évêques d’une même région se mettaient ensemble pour discuter des problèmes et on arrivait à des solutions unanimes. On avait aussi une manière de communiquer les solutions auxquelles l’assemblée était parvenue. Ces réunions étaient appelées « SYNODES » ou « Conciles ». Dans les premiers temps, synode était synonyme de concile. Certains ont même considéré la réunion de Pentecôte comme un concile parce que ce fut une réunion des douze avec quelques fidèles y compris la Vierge Marie, mère de Jésus. Mais nous savons qu’il n’y pas eu de débat ni de décisions à prendre. Ce n’est donc pas un concile proprement dit.
2° Le premier vrai concile eut lieu en l’an 49 et c’est ce que l’on appelle le concile de Jérusalem, comme cela est rapporté dans Actes 15, 6-29). Cette réunion a rassemblé les apôtres qui vivaient encore avec les « anciens » d’une part et d’autre part Paul et Barnabé. Il fallait résoudre un problème qui risquait de briser l’unité des chrétiens au moment où l’Evangile passait les frontières juives. En effet, certains ténors d’origine juive voulaient imposer aux païens convertis toutes les pratiques juives. La tension fut telle qu’une solution était urgente. On avait en présence deux tendances opposées : celle qui était représentée par l’apôtre Jacques alors chef de l’Eglise de Jérusalem et l’autre que représentait Paul. L’apôtre Pierre défendit la position de compromis qui fut adoptée et acceptée à l’unanimité. Après des débats longs et très animés, on parvint à une solution unanime qui fut consignée par écrit et qui commence par une expression qui sera le modèle des synodes ultérieurs : « l’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé… ».
3° Pendant les années qui ont suivi, jusqu’au 3ème siècle, il devint impossible de tenir des réunions d’Eglises. En effet, le nombres des communautés augmentaient sans cesse, puis les voyages étaient onéreux et surtout les persécutions rendaient la vie difficile. Il restait une possibilité, celle des rassemblements régionaux. Nous avons alors beaucoup de SYNODES REGIONAUX. Il vrai que souvent il s’agissait de traiter des problèmes régionaux. Mais l’évêque de Rome intervenait en tout lieu quand c’était nécessaire et il était respecté dans toutes les régions. A titre d’illustration, vers les années 95, le Pape Clément intervint dans une affaire qui divisait l’Eglise de Corinthe. La lettre qu’il leur écrivit « fut tenue en grande estime dans l’antiquité et jusqu’au 4ème siècle elle était lue dans de nombreuses églises » (Sr Gabriel Peters). Elle est ainsi intitulée : « L’Eglise de Dieu qui séjourne à Rome à l’Eglise de Dieu qui séjourne à Corinthe ». Un autre cas intéressant. Vers la fin du 2è siècle, le Pape Victor prit l’initiative de fixer la date de célébration de la fête de Pasques pour unifier le calendrier des églises chrétiennes. Les Asiates avaient adopté la date de la Paques juive ce qui était contraire à la pratique de Rome. Avant de prendre la décision, le Pape demanda l’avis des autres Eglises et il y eut des synodes régionaux pour la consultation. Les Eglises d’Italie se réunirent à Rome, celles d’Asie se réunirent à Ephèse et celle de Palestine à Césarée et ainsi dans d’autres Régions. Il convient de noter qu’à cette époque certaines Régions n’étaient pas encore organisées comme la Syrie, la Grèce, l’Egypte. Dans les Gaules, on avait un seul évêché à Lyon et en Egypte seulement à Alexandrie. Mais certains évêques envoyèrent leurs avis à titre personnel. Après cette large consultation, le Pape Victor prit une décision qui provoqua un nouveau problème. Les Asiates ont refusé d’obéir et le Pape était sur le point de les excommunier. C’est alors qu’Irénée de Lyon intervint pour calmer le Pape. Il voulait sauver l’unité de l’Eglise. Le Pape prit en compte les avis d’Irénée et on évita un mal plus grave que la date de Pâques. Ceux que le Pape Victor appelait des rebelles, se réclamaient de la tradition qui remontait à l’apôtre Jean. Finalement, dans la sérénité tous acceptèrent la proposition de l’Eglise de Rome.
4° Au 3ème siècle, il y eut beaucoup de synodes régionaux pour débattre des questions de doctrine, de discipline ecclésiastique, même des questions de conflit entre individus, sans parler des défis de la société dont la culture hostile pesait sur la vie des communautés chrétiennes. Ainsi des synodes eurent lieu en Asie, en Egypte et en Afrique pour condamner le MONTANISME en Afrique et en Egypte ou certaines idées d’Origène jugées dangereuses en Egypte et en Asie. Mais c’est surtout les questions d’apostasie et les baptêmes administrés par des hérétiques qui retinrent le plus d’attention. Des chrétiens qui avaient renié la foi pendant la grande persécution de Dèce, dans les années 250, demandèrent de réintégrer l’Eglise quand le calme revint. Il y avait alors deux tendances. Les rigoristes à la suite d’un certain NOVATIEN s’opposaient à la réintégration. Par contre l’Eglise d’Afrique comme celle de Rome plaidaient pour une attitude modérée et la clémence envers ceux qui exprimeraient le repentir. Un synode fut convoqué à Carthage en 251 et un autre dans l’espace de quelques mois fut convoqué à Rome. Les positions modérées de l’évêque Cyprien et du Pape Corneille furent approuvées et communiquées à toutes les autres Eglises. Entretemps, un autre grand concile réunit à Antioche plusieurs évêques orientaux qui approuvèrent la position de l’Eglise de Rome.
Mais pour la validité du baptême des hérétiques, on eut du mal à parvenir à l’unanimité. Deux conciles de Carthage, en 255-256 confirmèrent la position rigoriste des Eglises d’Afrique, une position qui avait été déjà adoptée par un autre concile en 220. Or l’Eglise de Rome s’opposait à rebaptiser. La divergence faillit aboutir à l’excommunication de Cyprien, évêque de Carthage et Firmilien, évêque de Césarée. C’eût été l’Afrique et la Cappadoce qui allaient être séparé de Rome. La mort vint arrêter la menace puisque le pape Etienne fut emporté par persécution déclenchée par l’empereur VALERIEN en 257. Son successeur, le pape Sixte II prit au sérieux le conseil de Denys d’Alexandrie et rétablit la paix entre les Eglises en tolérant momentanément les positions divergentes. On lit avec émerveillement la lettre où Cyprien de Carthage dénonce avec beaucoup de respect l’autoritarisme d’Etienne, l’évêque de Rome (voir note). Cyprien lui-même mourut martyr en 258.
5° Il y eut encore d’autres synodes dans ce 3ème siècle pour trancher les questions de théologie qui opposaient l’Eglise de Rome à celle d’Egypte et à celle d’Antioche. C’est ainsi que dans un concile tenu en 260 dans l’Eglise de Rome, le Pape Denys fit condamner des positions jugées dangereuses en lien avec la Sainte Trinité. En fait, le pape visait l’évêque d’Alexandrie, qui lui aussi portait le nom de Denys. Celui-ci protesta de son orthodoxie sans toutefois contester le droit de l’évêque de Rome de jouer le rôle d’arbitre dans les affaires de doctrine. Les choses se sont arrangées et la réconciliation s’en suivit. On pourrait allonger la liste des synodes régionaux qui eurent lieu au 3ème siècle. Je cite seulement en passant deux conciles qui, en 264 et en 268, rassemblèrent un très grand nombre d’évêques en provenance d’Asie et de Syrie. Il s’agissait de trancher l’affaire de l’évêque d’Antioche, Paul de Samosate. Les deux synodes eurent lieu dans sa ville et il fut excommunié. Mais il refusa de quitter la maison épiscopale. Et voilà que l’empereur AURELIEN, qui était juste de passage en fut informé. Il décida alors que la maison de l’évêque devait être occupée par un évêque en communion avec l’Eglise de Rome. L’affaire fut vite tranchée et surtout on voit combien la primauté romaine était déjà bien établie dans l’Eglise.
J’ai essayé de faire un survol de l’histoire des premières années de l’Eglise où l’on voit combien le Synode constitue la dimension dynamique de l’Eglise. C’est une étape qui prépare aux grands conciles œcuméniques et en fait le chemin parcouru en ces premières années offre déjà des critères qui seront appliqués dans la suite. On y voit le souci de représentativité qui s’exprime par le plus grand nombre d’évêques. En outre, il y a le souci d’unanimité qui doit être la loi de toute Assemblée chrétienne, à l’image du Concile de Jérusalem. Enfin on a noté le souci d’universalité, c’est-à-dire toutes les Eglises sans exclure aucune entité. On tenait même à informer le mieux possible ceux qui n’ont pas pu participer physiquement aux réunions. Il était parfois difficile de suivre tous ces critères, mais c’était la visée de tous. L’Eglise est « peuple de Dieu », elle est « communion » et elle est « synodale ». C’est dire que la synodalité est une dimension constitutive de l’Eglise.
L’étape qui a suivi est celle des grands Conciles œcuméniques qui furent tous célébrés en Orient, dans la chrétienté byzantine : Nicée, Constantinople, Ephèse, Calcédoine, Constantinople II, Constantinople III, Nicée II, Constantinople IV. Ces huit Conciles œcuméniques sont communs à toutes les Eglises avant la séparation et ils sont une référence indiscutée.
6° Après le schisme de 1054, la séparation entre Constantinople et Rome, les Eglise d’Orient ont gardé la tradition des synodes, tandis que l’Eglise latine n’y a plus fait recours. Le premier Synode eut lieu en 1967 qui tomba come un fruit du Concile Vatican II. A l’occasion de ce premier Synode dans l’Eglise catholique, le Pape Paul VI invita le Patriarche Athénagoras qu’il salua en des termes suivants : « la convocation du Synode a par elle-même une grande importance œcuménique, dans la mesure où elle témoigne, dans la ligne du Concile, que demeure bien vivante dans l’Eglise catholique l’antique institution synodale, si bien mise en valeur par la tradition orientale ».
Toutefois, l’Eglise catholique a continué des Conciles au Moyen âge et au temps moderne. Il y eut même des efforts de réunification entre l’Orient et l’Occident, ce qui a donné lieu à deux Conciles avec la participation des orthodoxes. D’abord le Concile de Lyon en 1274 où la communion était presque atteinte et le tout dérapa à la dernière minute. Deux siècles plus tard, un autre concile put se réunir à Florence en 1439. Là aussi l’échec fut d’autant plus frustrant que le chemin parcouru avait été prometteur. Après le concile de Trente, le pouvoir centralisé semblait rendre inutile la réunion d’un Concile, puisque le Pape pouvait gouverner l’Eglise de sa seule autorité. Mais le Saint Esprit a ses surprises. Au moment où La souveraineté du Pape Pie IX était bien établie, il convoqua le Concile du Vatican en 1869 malgré l’avis contraire de son entourage. Le monde ne fut pas moins surpris par l’annonce faite par le Pape Jean XXIII, en 1959, de convoquer un concile œcuménique qui avait pour mission le retour aux sources et l’aggiornamento de l’Eglise. C’est le Concile Vatican II qui remit à jour la tradition synodale pour « assurer une meilleure collaboration entre les Eglises locales et celle qui préside à la charité » (René Laurentin, Le premier Synode, histoire et bilan, Seuil 1968).
Par Père Augustin KAREKEZI (Jésuite)