Le principal problème rencontré par ces filles-mères célibataires et leurs enfants est le sentiment de rejet familial et social. Les causes de ce rejet sont le manque d’amour et le refus de pardonner, la stigmatisation, la dépendance, la menace que pose ces enfants hors mariage qui solliciteront l’héritage, le manque d’estime de soi, le désarroi spirituel et psychologique, la solitude, la surcharge ainsi que la non reconnaissance de l’enfant par son père.
- D’où est venue l’idée de faire cette pastorale ?
La pastorale des filles mères dans la Paroisse de Kabuga a été initiée en 2016 par REBEJO organization (ONG locale) en franche. En effet, un des couples intellectuels de Kabuga a fait l’expérience malheureuse de voir leur enfant devenir fille-mère étant encore sur les bancs de l’école. Ces parents ont eu de la peine à assumer cette douloureuse épreuve. Quand ils ont réussi finalement à le surmonter, ils se sont mis directement dans la peau des autres parents victimes de cette même situation mais qui ne savent pas encore à quel saint se vouer ! C’est alors qu’ils se sont résolus à aller voir le curé de la paroisse de Kabuga pour étudier ensemble comment accompagner ces jeunes. Et certaines de ces mères célibataires sont les fidèles de la Paroisse de Kabuga (membres des différentes chorales, membres des mouvements catholiques,…). Signalons que l’enquête sur les défis de la famille dans l’Archidiocèse de Kigali qui a été faite en trois étapes successives a bien mis en lumière la gravité du problème de filles mères, et qu’avec l’appui de la Caritas diocésaine et de l’ONG Locale REBEJO Organization, les statistiques au niveau de chaque paroisse ont été analysé en 2018.
- Etat de vie des filles-mères
La première phase de l’identification de ces filles mères a été effectuée en 2016 et a donné comme résultat : 275 filles mères qui ont été identifiées dans quatre centrales de la Paroisse de Kabuga. 50% d’elles sont catholiques ; 71% cultivatrices, 23% sans emploi. La plupart n’ont fait que l’école primaire. Certaines sont mères de plus d’un enfant : 26% de celles de la centrale de Kabuga ont eu 2 enfants ! Celles qui ont fréquenté l’université sont 2%, 29% le secondaire et 10% sont analphabètes. Cette enquête existe au niveau d’une dizaine de paroisses de l’Archidiocèse, mais il y a lieu de se demander ce qu’en font les paroisses concernées. Voyons le cas précis de Kabuga.
La deuxième phase de l’identification a été réalisée en 2017 par REBEJO Organization dans les paroisses de Kacyiru et Musha, où les statistiques montrent 400 filles mères et leurs 605 enfants.
Pour les filles-mères célibataires identifiées, presqu’un cinquième (17%) n’ont pas l’âge de la majorité, 21 ans. Une grande portion d’entre elles (64%) a entre 20 ans et 29 ans. La plupart se disent cultivatrices (71%) et 23,5% affirment être sans emplois.
Quant aux études faites : les analphabètes représentent 10%, celles qui ont fait l’école primaire représentent 59% et l’école secondaire 29%.
Après leur identification, nous avons commencé la pratique de groupement de ces mères célibataires, faire leur accompagnement psychologique, spirituel, social et économique. Mais, faute de moyens suffisants, le chemin est encore long.
Cependant, d’après les doléances provenant de toute part ; nous voudrions étendre cette activité, selon les moyens disponibles, dans les 10 paroisses pilotes en raison de deux paroisses par zone pastorale, à savoir les paroisses de: KABUYE, BUTAMWA, GIKONDO, KACYIRU, MASAKA, KIGARAMA, NYAMATA, RUHUHA, MUHONDO et RULI.
- Le rejet familial
En l’An 2018, L’organisation REBEJO a mené une étude de « Knowledge, Attitude and Practices (KAP) » auprès de ses bénéficiaires, qui nous a révélé une situation suivante de ces filles mères :
Le principal problème rencontré par ces mères célibataires et leurs enfants est le sentiment de rejet familial et social. Les causes de ce rejet sont le manque d’amour et le refus de pardonner, la stigmatisation, la dépendance, la menace que pose ces enfants hors mariage qui solliciteront l’héritage, le manque d’estime de soi, le désarroi spirituel et psychologique, la solitude, la surcharge ainsi que la non reconnaissance de l’enfant par son père.
- La stigmatisation
Une fille qui met au monde un enfant sans être mariée connait une stigmatisation. Les comportements que manifestent généralement ses parents et les membres de la communauté locale sont la colère et l’expulsion. La société rwandaise actuelle ne repousse plus comme autrefois la mère célibataire de façon explicite, en la traitant de pécheresse ou d’immorale, mais beaucoup de filles mères perçoivent un rejet implicite et sont victimes de toutes sortes d’injustices qu’elles assument malgré elles. La Caritas de l’Archidiocèse de Kigali et REBEJO se sont engagés à être des porte-parole de ces ‘‘vulnérables’’ et ‘‘sans voix’’ ; en vue de combattre ces injustices avec dernière énergie. En effet, souvent leurs droits familiaux et sociaux ne sont pas respectés. Il arrive que leurs enfants ne soient pas enregistrés à l’état civil. Elles perçoivent ce rejet systématiquement quand elles essaient de négocier avec les institutions, il arrive qu’elles soient plutôt brutalisées, humiliées ou de nouveau piégées. Elles se sentent donc exclues de la famille et de la société et nécessitent une protection.
- La basse estime de soi.
L’autre cause de ce rejet familial et social est la basse estime de soi. Une série d’événements influent négativement sur l’estime de soi des filles mères: les changements physiques qui dérivent de la grossesse, l’isolement de son groupe d’égales, la culpabilité d’avoir été enceinte, l’interruption involontaire des études imposée par la nouvelle situation de filles mères parfois même mineure afin de prendre soin du bébé, la recherche infructueuse d’emploi sans préparation ni expérience, la vie sous les normes de la famille d’origine qui les empêche de prendre leurs propres décisions. On ne peut pas passer sous silence la vie sous les normes de la famille d’origine qui les empêche de prendre leurs propres décisions. Tous ces facteurs amènent la fille mère à voir son avenir comme sombre et sans espoir et favorisent son repli sur elle-même, au risque même de sombrer dans la dépression..
3.3. La dépendance.
L’autre facteur qui explique le rejet familial et social des filles mères est la dépendance. Actuellement, certains parents expulsent de la maison leurs enfants devenues des filles mères car elles deviennent un fardeau pour eux. Dans d’autres familles, ces filles mères endurent de mauvais traitements, connaissent l’humiliation des parents ou des tuteurs dont elles dépendent pour subsister. Parfois elles sont même victimes d’abus sexuels. Suite à cette dépendance économique qu’elles n’arrivent pas à supporter, elles se convertissent en ‘’boyesses’’ ou acceptent de vivre en concubinage comme un pis-aller ! Cette triste situation de dénuement est exacerbée par le chômage que connaissent la plupart de filles mères qui finissent dans parfois la prostitution. Cela affecte la bonne croissance physique et intellectuelle de l’enfant dont la malnutrition devient inévitable. Notons que tout ce qui affecte une mère enceinte affecte davantage l’embryon qu’elle porte.
3.4. Une surcharge de tâches
En solitaire parfois déprimées, les filles mères chassées de chez leurs parents assument les fonctions parentales auxquelles elles n’ont pas été préparées, les tâches domestiques sans qualification ni compétence, les responsabilités dans l’éducation étant parfois elles-mêmes des mineures qui ont encore besoin d’être éduquées. Le fait de penser à cette situation qui les attend au tournant les pousse généralement à tenter d’avorter clandestinement, se débarrasser de leurs enfants en les abandonnant et fuir la maison, quand ils ne les jettent pas dans la nature, les toilettes… afin de fuir leurs responsabilités. La pression de la famille d’origine contribue à aggraver cette situation dans laquelle elles se sentent fréquemment débordées et indésirables. Toutes ces raisons nous interpellent à faire quelque chose pour sauver la vie de ces enfants innocents et secourir leurs mères avant qu’il ne soit tard…
3.5. La solitude
Le rejet familial et social conduit les filles mères à expérimenter la solitude et à éprouver un sentiment d’abandon. L’écoute des filles mères faite conjointement par la Paroisse de Kabuga et l’ONG Local REBEJO a révélé que l’une des craintes principales de ces filles mères abandonnées à elles-mêmes est de ne pas pouvoir un jour refaire leur vie affective dans un couple.
3.6. Désarroi spirituel et psychologique.
Toutes les filles mères approchées connaissent un désarroi spirituel et psychologique et sollicitent un accompagnement approprié. Elles éprouvent de la honte pour ce qui leur est arrivé. Il arrive que la société dans laquelle elles se trouvent les considère comme des pécheresses et des immorales. Ce désarroi parfois les conduire dans la dépression qu’elles extériorisent de plusieurs façons.
3.7. La non reconnaissance de l’enfant par son père
Le non reconnaissance de l’enfant par son père est une réalité commune à plusieurs filles mères. Cette situation est préjudiciable aussi bien à la mère qu’à l’enfant dont les droits de succession ne sont pas reconnus.
Si tous ces facteurs décrits ci-haut et les autres que nous avons omis de citer ne sont pas éradiqués ou réduits, les filles mères opteront pour la fugue du toit paternel pour s’adonner à la prostitution, à l’infanticide ou autres délits et crimes punissables par la loi. Elles peuvent alors se retrouver en prison ou enceintes de nouveau. Elles sont exposées aux maladies sexuellement transmissibles et aux autres conséquences de mener une vie sexuelle désordonnée.
Pour pallier à cette problématique, l’O.N.G Local REBEJO et la Paroisse de Kabuga ont pris une décision de faire un accompagnement spirituel et psychologique des filles mères de cette paroisse, en vue de les réhabiliter moralement et psychologiquement; les réconcilier avec elles-mêmes, avec Dieu, et avec leurs parents. Des séances de sensibilisation sur les droits et les devoirs de chacune d’elles et de leurs enfants ont été organisées. Une pastorale des filles mères qui met l’accent sur la miséricorde divine et la réconciliation parfaite entre les enfants et leurs parents, en pansant les blessures causées par les grossesses non désirées et les conséquences qu’elles ont causées a été initiée et elle poursuit son cours en donnant des fruits. Nous pensons que cette pastorale qui vient de réussir dans la paroisse de Kabuga peut servir de modèle pour les autres paroisses de l’Archidiocèse de Kigali.
Une plaidoirie auprès des partenaires a été faite et un projet visant à aider ces filles mères à trouver elles-mêmes des réponses adéquates aux problèmes liés à la situation de dépendance et de chômage déguisé dans laquelle elles se trouvent a ensuite été fait et le financement obtenu. Ainsi donc, avec l’appui des partenaires, ces filles mères ont entrepris de petites activités génératrices de revenus afin de répondre au problème de dépendance et de chômage qui les menace. Ainsi, un accompagnement juridique a été apporté aux filles mères de la paroisse de Kabuga pour faciliter la reconnaissance des enfants par leurs pères biologiques et un appui sera programmé pour favoriser une bonne croissance physique et mentale de leurs enfants.
- Les défis à relever dans cette pastorale
4.1. Les défis qu’ont ces filles mères sont légion et de tous côtés:
Les bénéficiaires de cette pastorale sont de prime abord très rétissantes d’une part à cause des déceptions qu’elles ont eu dans leur amour et d’autre part à cause des blessures encore saignantes qu’elles ont eu dans leur passé ressent. Elles sont habituées à vivre dans la dépendance et n’attendent que les personnes qui viendraient à leur secours, car la plupart vivent dans la misère et la rancœur. Elles risquent de tomber dans la dépression et il faut du tact pour bien les approcher et leur inspirer confiance. Souvent, elles sont piégées par des manipulateurs qui leurs promettent des châteaux en Espagne et parfois abusent d’elles. Certains ONG les conditionnent en leur donnant directement des biens matériels sans les aider à guérir de leurs blessures intérieures, et une fois ces aides épuisées, elles retombent à la case de départ.
4.2. Les parents ont besoin d’être accompagnés dans cette épreuve
Quand on écoute les doléances de bien de parents qui ont eu des enfants devenues filles mères, on se rend directement compte que le pardon est encore très loin car il manque un dialogue franc. Ils se sentent vexés et déçus car ils avaient beaucoup investi dans leurs enfants et tout d’un coup, toutes leurs rêves tombent dans l’eau à cause de leurs idioties pensent-ils ! Dans de tels foyers la crise naît et des fois se rejettent la responsabilité. Certains chassent même leurs filles avec leur progéniture. La misère s’accroit et la paix disparait. Ils ont alors besoin d’un accompagnement pastoral pour leur convaincre qu’il y a encore de l’espoir et que leur fille peut se relancer dans la vie, avec l’appui des parents. A force de traumatiser leurs enfants, ils les rendent têtues et peuvent retomber dans les mêmes erreurs car incomprises et non soutenues.
4.3. La communauté chrétienne
Nous avons souligné combien ces filles-mères sont souvent victimes de stigmatisation et d’injustice. Toutefois, il n’est pas rare d’entendre certains chrétiens de plaindre des initiatives pastorales en faveur d’elles, arguant que c’est une façon implicite de les encourager à mettre au monde davantage, car à leurs yeux, c’est une façon implicite de les récompenser ! Aussi, des personnes mal intentionnées continuent à les tenter et les exploitent sexuellement sous prétexte de les aider. Ce qui est révoltant, c’est que les garçons et les personnes adultes auteurs de ces grossesses sont intouchés et continuent à faire des ravages incognito.
- Quelques conseils pour s’inspirer de l’expérience de Kabuga
- Il faut d’abord une prise de conscience de la gravité du problème et un ferme engagement.
- Se faire aider par les partenaires dans la pastorale de la famille, surtout ceux qui ont les moyens financiers et les techniques d’encadrement interdisciplinaire. La paroisse à elle seule ne peut rien faire, mais ensemble avec tous ceux qui sont soucieux de la cause de la famille, des miracles s’opèrent.
- Mieux vaut prévenir que guérir, surtout qu’une victime de grossesse avant le mariage sent en elle que la vie est finie, et que certaines blessures sont pour toute la vie. Or, dans bien de cas il y a lieu de les éviter.
- Eviter de se culpabiliser comme parent d’avoir failli à sa mission car certaines situations nous échappent et quand le fait est arrivé, rien à faire il faut l’assumer et aller de l’avant.
- BREF APERÇU DE L’O.N.G. Local “REBEJO ”
REBEJO (Renforcement du Bien-être de la Jeunesse Ouvrière) est une organisation créée en 2013 par 12 membres laïcs fondateurs inspirés par le souci d’améliorer les conditions de vie des jeunes et des femmes de faible revenu ; conformément à la loi nᵒ 04/2012 du 17 février 2012 relative aux organisations non-gouvernementales. Elle est reconnue par RGB (Rwanda Gouvernance Board) selon le certificat nᵒ349/RGB/NGO/LP/10/2018.
L’organisation a son siège social dans le secteur Rusororo, District Gasabo, ville de Kigali, République du Rwanda.
VISION
L’organisation REBEJO a pour vision d’améliorer les conditions de vie des jeunes désœuvrés, des mères célibataires et des femmes de faible revenu pour le développement de leur bien-être.
MISSION
Fournir un soutien psychologique et spirituel significatif aux jeunes et aux femmes à faible revenu en mettant l’accent sur les filles mères rejetées.
Assurer l’encadrement des jeunes, contribuer à la réhabilitation et prise en charge des filles mères et des femmes de faible revenu.
QUELQUES REALISATIONS
Formation professionnelle située à Karuruma, Secteur Gatsata et ayant pour but d’apprendre aux jeunes l’art culinaire, l’art ménager et leçon morale.
Sa mission d’encadrer les domestiques, les mères célibataires et autres jeunes désœuvrés qui sont vulnérables et qui désirent apprendre l’art culinaire a été réalisée avec ses faibles moyens accompagnés de la ferme détermination de ses membres. Un groupe de 100 lauréats vient de terminer les cours théoriques et le stage. Il nous reste d’assurer leur encadrement.
Une autre réalisation a été l’encadrement des groupements des mères célibataires.
Le cheminement adopté par REBEJO pour la réhabilitation et l’intégration des mères célibataires est de faire l’accompagnement psychologique, spirituel, juridique et socio-économique ; car la situation des mères célibataires doit être connue de façon précise pour mieux orienter les interventions. Ainsi, pour aborder tous ces problèmes, REBEJO a fait de différentes journées de réflexion en faveur de ces mères célibataires sur les différents sites identifiés. Au cours de ces journées de réflexion, les différents thèmes ont été développés en faveur de ces filles mères qui totalisent un nombre de 400 dans le cadre de les préparer pour les jours à venir.
Guérison intérieur et l’auto prise en charge
Santé de reproduction et Bonne croissance des jeunes enfants
Droits de la femme et des enfants
Groupements de solidarité, Epargne et crédit et Création de petites initiatives économiques
Nous avons fait aussi le recensement des mères célibataires comme bénéficiaires de REBEJO
Les membres de REBEJO ont réuni quelques fonds pour identifier les mères célibataires se trouvant dans leur zone d’intervention.
La zone d’action dans laquelle les activités de REBEJO ont débuté est à cheval sur les parties ciblées dans trois Districts à savoir Gasabo (Ville de Kigali), Rwamagana (Province de l’Est et diocèse de Kibungo) et Kamonyi (Province de Sud et diocèse de Kabgayi). C’est une zone urbaine et semi urbaine avec une portion importante de la population vivant de l’agriculture et du commerce ambulant à savoir Rusororo, Kacyiru, Muyumbu, Fumbwe et Runda. Les filles vivantes dans ces milieux sont souvent exposées à tomber enceintes et à avoir des enfants hors mariage.
Père Ildéphonse BIZIMUNGU,
SAC et Madame Médiatrice IZABIRIZA
In « Croisée des Chemins », Bulletin Officiel de l’Archidiocèse de Kigali numéro 120 (pp 34-46)